le Maroc : un patrimoine diversifié, riche, avec des apports multiples pour Monsieur Omar ABBOU
Monsieur Omar ABBOU
Président de la Commune Urbaine de Figuig et Délégué Provincial de la Culture
Pour une reconnaissance du patrimoine de l’oasis et des ksour de Figuig
le Maroc : un patrimoine diversifié, riche, avec des apports multiples
Le Maroc bénéficie de grandes traditions séculaires en matière d’architecture et de patrimoine urbain et culturel. Traditions qui n’ont cessé de se diversifier et de s’enrichir en intégrant des apports différenciés depuis plusieurs millénaires.
Ce patrimoine témoigne d’une diversité dans la forme, la situation géographique, les matériaux, les conditions humaines et historiques, les pratiques sociales et l’appropriation de l’espace, qui ne font qu’enrichir l’unité traduite dans les relations humaines et autres règles
qui structurent et régissent la société (kurhan, 2003, pp. 311-312).
Le patrimoine historique du Maroc est réparti sur tout son territoire.
Sa sauvegarde demeure non seulement une nécessité absolue pour préserver la mémoire
collective du pays, mais aussi un impératif pour un développement local multisectoriel intégré touchant de larges couches de la société marocaine.
Figuig, oasis marocaine, est un exemple qui reflète cette richesse, cette diversité et cette originalité du patrimoine marocain. L’originalité du patrimoine de cette oasis s’exprime dans l’emploi des matériaux, l’adoption des formes, l’utilisation rationnelle des espaces, la fonction, le rôle et l’utilité de chaque construction.
C’est un habitat qui a pour point de départ les besoins et pour finalité la satisfaction de ces besoins ainsi que l’application des savoir-faire humains. Le bâti est considéré comme un vecteur d’une culture constructive (kurhan, 2003, p. 316).
l’Oasis de Figuig :
des potentialités patrimoniales d’importance nationale et universelle
L’oasis de Figuig est située dans la Région de l’Oriental, au Sud-Est du Maroc, enclave confinée sur trois côtés avec l’Algérie. Elle est composée de sept ksour (z
enaga, Oudaghir, Lamaiz, Ouled Slimane, Hammam Foukani, Hammam Tahtani et Laabidate) : exemple typique de l’architecture ksourienne, elle regorge de potentialités patrimoniales et archéologiques d’importance nationale et universelle ; elle a connu l’émergence d’un type d’habitat traditionnel en terre, inspiré et influencé par les techniques architecturales africaines et méditerranéennes.
Un système spécifique « d’urbanisation du territoire », structuré en Ighrem oasis avec une rigoureuse maîtrise de gestion des rares ressources et des relations étroites bien pensées, réfléchies, et mesurées (Meziane, 2007, Tome 1, p. 109 et Pop, 1992, p. 36) :
• entre le cadre bâti, la palmeraie et les zones environnantes, le réseau économique et les spécificités sociales ;
• dans le rapport social de mutualité entre les citadins et les nomades, entre le fellah oasien et l’éleveur transhumant, où « La partie agricole et celle habitée sont indispensables l’une à l’autre ; chaque changement d’une partie modifie aussi l’autre ».
Un relais indispensable au milieu du désert
L’oasis jouait un rôle économique important au milieu du désert, relais indispensable,
point de ravitaillement, et gîte d’étape nécessaire à l’existence matérielle et morale du nomade (zaid,1992, pp. 87-88 et Meziane, 2007, p. 118). C’était alors bien plus qu’une simple
zone agricole. Elle exerçait une fonction urbaine dans un territoire basé sur la complémentarité entre la culture oasienne et la vie pastorale nomade. Elle associait l’agriculture, le commerce, l’artisanat et des fonctions culturelles et religieuses.
Pendant la période de sécheresse, la population nomade ruinée venait camper autour de l’oasis et offrir sa force de travail au ksourien et, pendant les années d’abondance, les
nomades faisaient des ksour de Figuig le magasin (Makhzen) de leur production (laine, beurre fondu, céréales). Par sa fonction religieuse et culturelle, elle était le seul «espace lettré » d’un immense territoire ; elle était donc un lieu d’attraction : consultation des Oulémas ou des juges, pèlerinage aux lieux saints-Marabouts ,fréquentation des zaouïas(b enali, 1987, p. 154). C’est cette complémentarité et cette mutualité de gestion de l’environnement qui soutiennent la préservation de l’oasis et de son patrimoine.
Figuig : une situation de carrefour
Tout au long des siècles passés, la population de l’oasis de Figuig a créé, avec des matériaux locaux, une architecture vernaculaire parfaitement adaptée aux besoins de l’écosystème oasien.
Trois facteurs ont influencé le choix des oasiens pour l’établissement des ksour :
• le premier est le facteur commercial de cette zone située au point de passage des itinéraires commerciaux sahariens, les oasis ksouriennes servant de relais, d’étapes, qui permetaient aux caravanes de se ravitailler (Meziane 2007, Tome 1, p. 118) ;
• le second facteur est celui de l’eau, où la facilité de son accessibilité et de son alimentation rend possible les productions agricoles nécessaires à la survie de l’oasis ;
• finalement, la sécurité, en réponse à l’appréhension des attaques de pillards.
Le site de Figuig se caractérise par une dépression encadrée par un ensemble de crêtes
aux formes aiguës, étroites et peu élevées, qui sont relayées par des cols (zaid, 1992, pp. 5657). Afin d’assurer son rôle de carrefour commercial dans un milieu relativement hostile, la population des ksour a dû répondre à des impératifs de défense et privilégier un mode d’organisation sociale montrant, aujourd’hui encore, une grande cohésion, aussi bien dans les pratiques sociales que dans l’édification des ksour, la construction des maisons et l’accomplissement des tâches agricoles. Ainsi, un principe social d’entraide et d’égalité, soigneusement appliqué, a présidé à l’organisation de l’espace oasien et à la constitution de la cité, élaborant de cette façon une œuvre collective (kurhan, 2003, p. 317).
l’Oasis de Figuig : la trilogie eau -palmeraie –habitat
Le palmier, l’eau et le système traditionnel d’irrigation constituent le fil conducteur de l’architecture oasienne, participant à l’édification du modèle paysager local. Si les hommes
se sont évertués dans le domaine de l’irrigation traditionnelle, en créant des instruments
pour une répartition ingénieuse des parts d’eau entre les habitants des différents ksour
(le système des khettarats), les femmes se sont spécialisées dans le métier du tissage de qualité, ce qui justifie ce qu’en a dit un sage du 16ème siècle : « Figuig, c’est Tzadert et Tsadert» ce qui veut dire l’eau et le tissage.
Ainsi, en se basant sur la qualité des produits, des ressources humaines, de la gestion des ressources naturelles, Figuig a pu résister aux changements. L’irrigation, le tissage et le culturel sont les trois pôles complémentaires de l’oasis de Figuig.
Ils forment un tout homogène, reflétant ainsi une société à part, et mettent en valeur une vision ouverte sur l’univers.
Ainsi, l’architecture vernaculaire de Figuig est le résultat de diverses causes liées au climat, à la présence de l’eau, à la disponibilité du matériau et au site géographique. Il en découle une expression d’une grande complexité.
L’Oasis est à elle seule une valeur sociale et culturelle de premier ordre. Elle a engendré une culture de recherche et d’exploitation de véritables mines d’eau dans un milieu désertique hostile. L’oasis a construit les foggaras, système ingénieux ayant permis de ramener l’eau de très loin pour l’exploiter de manière rationnelle.
C’est ainsi que les maisons étaient perçues comme des abris naturels dans lesquels les
oasiens recherchaient un maximum de confort et de protection, et l’utilisation optimale
des espaces bâtis (Darkaoui, 2000, pp. 75-76).
Le palmier dattier est la principale richesse de l’oasis de Figuig, elle-même parmi les plus
anciennes oasis de la frange septentrionale du Sahara. Elle est composée de sept ksars ;
ces ksour sont tous reliés entre eux par les jardins plus ou moins verdoyants de la palmeraie (bencherifa et Popp, 1992, pp. 12-13). Le Palmier dattier, malgré plusieurs contraintes,
reste le pivot de l’économie oasienne de Figuig. Déjà situés en frange septentrionale du
domaine du dattier proprement dit, les 190 000 palmiers souffrent par ailleurs de la fraîcheur due à l’altitude et surtout de la fusariose vasculaire (bayoud). Cette maladie cryptogamique décime en priorité les meilleures espèces, réputées fragiles. Malgré tout cela, le palmier dattier reste le symbole de la fertilité et de la prospérité. Il constitue l’arbre providence de l’oasis puisqu’il a survécu au lendemain des crises les plus
dures (zaid, 1992). L’oasien accorde au palmier une attention particulière, s’assurant constamment d’une suffisante alimentation en eau sous une chaleur dépassant les 40 degrés : « il pousse tête dans le feu et pieds dans l’eau» Dans ce milieu écologique fragile, l’oasien a pratiqué la culture à trois étages : le palmier
est la strate dominante, qui ombrage de plus petits arbres fruitiers (abricotiers, grenadiers,
figuiers, oliviers, etc.). Par la suite, ces petits arbres fruitiers servent eux-mêmes à protéger
les cultures plus basses de légumes, blé, orge, luzerne, henné, maïs, etc.
On voit donc apparaître au milieu de ces systèmes, de réels microclimats favorables et particuliers de la culture en zone aride. Grâce à cette stratification, on diminue les effets extrêmes du soleil et du vent.
Ce véritable microclimat local, plus frais, crée des échanges par convection qui maintiennent les niveaux de température et d’humidité constants sous la voûte des palmiers. Le Palmier dattier, malgré plusieurs contraintes, reste le pivot de l’économie oasienne de Figuig.